Son histoire est bien différente, pas de combat au grand jour mais un parcours tout aussi difficile !
Raoul Chassagne, en fait Pierre, "dit Raoul", est né à Liorac le 15 décembre 1902.
Ses parents, Pierre et Marguerite Comte étaient boulangers en haut du bourg de Liorac.
Avant la guerre, Raoul était libraire à Paris.
Revenu à Liorac, il aide son frère Léonce qui est boulanger.
Raoul appartient à un réseau de résistance, le réseau "Hilaire".
Le 5 janvier 1944, dans la soirée, la Gestapo débarque à Liorac à la boulangerie. C'est Raoul qu'ils cherchent.
Mais il est parti avec la cariole et le cheval pour approvisionner de la farine. La traction repart, mais sur la route de Bergerac, ils croisent Raoul qui rentre et l'arrêtent.
J'ai souvent entendu raconter l'épisode du cheval revenu seul à la maison. Raoul ne reviendra jamais...
La fondation pour la mémoire de la déportation (
site ICI) donne quelques bribes de la suite des évènements : Raoul Chassagne fut déporté par un Transport parti de Compiègne le 22 janvier 1944 (I.172.)
et transféré au camp de Buchenwald, camp en Allemagne de triste mémoire (Matricule au KL Buchenwald : 43010). Aucune information pendant les 3 semaines entre la date de son arrestation et celle où il quitta le territoire français.
Très probablement il a subi maints interrogatoires pendant cette période ...
Après Buchenwald, il fut transféré à Flossenbürg, un camp en Allemagne nazie près de Bayreuth. Le régime de Flossenbürg était particulièrement dur. L'administration SS elle-même considérait ce camp comme un camp "à régime sévère".
La majorité des prisonniers travaillait dans les carrières. Le rythme de travail était infernal. La sous-alimentation, le manque d'hygiène, les brutalités infligées par les SS firent que plusieurs dizaines de milliers de prisonniers moururent
à Flossenbürg et dans ses camps annexes.
Raoul Chassagne ne survivra pas à ce régime : il mourut le 14 mars 1944 à Hradischko,à environ 40 km au SO de Prague, un camp annexe de Flossenbürg, un peu plus de deux mois après avoir été arrêté.
La famille reçut en juillet 1945 une lettre très émouvante de
MAXIME SARLAT, déporté au camp d'Hradiscko et libéré à la fin de la guerre, qui racontait les circonstances de la mort de Raoul Chassagne :
Je, soussigné, SARLAT Maxime, demeurant à Villamblard (Dordogne), déporté politique, rapatrié de l'arbeitslager de Hradischko (Tchécoslavaquie)
dépendant du camp de concentration de Flossenburg, certifie que mon camarade de déportation CHASSAGNE Raoul, demeurant antérieurement à Liorac (Dordogne) est mort de maladie au dit lieu de Hradischko le 15 mars 1944.
Raoul Chassagne qui était probablement d'après les symptômes atteint de pneumonie est décédé sans avoir reçu aucun soin de la part des autorités du camp qui ne voulurent à aucun moment l'admettre à l'infirmerie.
Son corps a été transporté au crématoire civil de Prague.
Villamblard le neuf juillet mil neuf cent quarante cinq.
Signé : Max. Sarlat
Maxime Sarlat était instituteur et secrétaire de mairie à Villamblard, dans le département de la Dordogne. Lorsque la guerre éclate, de nombreuses familles alsaciennes se réfugient en Dordogne.
Parmi elles, beaucoup de familles juives.
Maxime et son épouse Eléonore employée à la mairie, leur fournissent de faux papiers bien sûr sans la mention "Juif", les sauvant ainsi de l'arrestation, de la déportation et probablement de l'extermination.
Dénoncé, il fut arrêté, torturé et déporté à Buchenwald. C'est là qu'il rencontra Raoul Chassagne.
Après l'arrestation de son mari, Eléonore reste active dans la Résistance et continue de fournir aux Juifs de faux papiers.
Maxime Sarlat survécut à la guerre et retourna à Villamblard.
Le 19 mai 1986, Yad Vashem (Institut international pour la mémoire de la Shoah, Israel) reconnut Maxime et Eléonore Sarlat comme Justes parmi les Nations.
LE CAMP DE HRADISCHKO : il s'agissait d'un camp dépendant du camp principal de Flossenburg.
(cette carte indiquant la localisation approximative des camps de concentration a été dessinée avec SimpleMappr : https://www.simplemappr.net/)
C'était un camp de travail sur un immense terrain d’entraînement militaire (de près de 700 km
2)en Bohême que les SS étaient en train d'installer.
Les SS se sont appoprié les terrains par un simple décrêt d'expropriation et l'évacuation de la population locale a commencé dès 1940 :
ainsi quelques 20 000 habitants d'une centaine de villages ont été contraints de quitter leurs maisons.
Les officiers SS ont occupé une partie de ces maisons.
Les déportés devaient travailler à la réparation de ces maisons, charger du matériel pour construire des casemates, des abris et des installations militaires
dont un énorme mur de défense antichars de 4 km.
Dans ce complexe militaire, les déportés ont apporté des matériaux de construction pour fermer des tunnels de la voie ferrée qui furent utilisés pour entreposer du matériel militaire et installer des usines souterraines nécessaires à la société AVIA, pour construire des pièces pour l'aéronautique.
Les ouvriers des usines étaient les citoyens tchèques eux-mêmes.
Il n'y avait pas de crématoire sur place et les nombreux défunts du camp d'Hradiscko étaient transportés au camp de base de Flossenburg pour y être incinérés.
Mais avec la guerre en cours, le transport était parfois difficile et il fut donc décidé que la Gestapo emmènerait les corps au crématorium civil de Strasnice, près de Prague, donc beaucoup plus près du camp.
Le directeur de ce crematorium, František SUCHY senior, avait reçu l'ordre de brûler les corps en vrac et de ne pas conserver les cendres.
Mais pour être incinérés dans un crématoire civil, les corps devaient être identifiés, F. Suchy réussi à obtenir des listes de noms, avec l'interdiction absolue de la Gestapo de les copier.
Cependant, sans doute au péril de sa vie, M. Suchy, aidé par son fils de 16 ans, a réussi à copier les noms et à cacher non seulement les listes mais aussi les urnes numérotées.
Avec l'aide du jardinier, à eux trois, ils ont caché plus de 2000 urnes jusqu'à la fin de la guerre.
La Mission Française pour le rapatriement a recherché ces urnes :
100 urnes de Français ont été identifiées et rapatriées pour essayer de les remettre aux familles. Mais apparemment, ils ont eu beaucoup de mal à vérifier les noms exacts des détenus et l'endroit d'où ils venaient.
Source: Fondation pour la mémoire de la Déportation - Ministère de la Défense á CAEN.
APRÈS LA GUERRE :
■
Qu'est devenue l'urne de Raoul CHASSAGNE ? Elle a probablement été rapatriée, mais on ne sait pas où elle se trouve actuellement. Elle n'est certainement pas dans le cimetière de Liorac et l'information n'est pas dans son dossier militaire.
■ Il fut
nommé Sous-Lieutenant à titre posthume le 2 juin 1947. Signé Colonel JOSSET, délégué général FFCI.
■ Il fut
cité à titre posthume à l'ordre de la Brigade, avec attribution de la
Croix de guerre étoile de bronze :
Motif : Résistant de la première heure. Ravitailleur dévoué du maquis de Liorac avec son cheval et sa propre voiture, a transporté des armes constituant plusieurs dépôts. Arrêté par la Gestapo le 5 janvier 1944, a su garder tous les secrets de la Résistance. Mort pour la France au camp de Buchenwald.
Le 30 avril 1947, signé : Général Marchand, commandant la 4e Région Militaire
■ Sur la requête de son frère Léonce auprès du Ministère des Anciens Combattants, Raoul CHASSAGNE reçut de titre de "Déporté Résitant"
■ Enfin, le dossier de Raoul Chassagne contient d'autres témoignages :
- l'un de Maurice FAURE déporté résistant de la Bernarde à Liorac, qui ayant été arrêté le même jour que Raoul Chassagne confirme la date de l'arrestation
et précise qu'il a séjourné à la prison de Limoges avant d'être dirigé sur Buchenwald le 20 janvier 1944.
De plus il indique qu'ils étaient ensemble au bloc 41 de Buchenwald.
La lettre est contresignée par Marceau FEYRY, Ex-Commandant du groupe François Ier, Dordogne Sud.
- Marcel RANCHAIN, déporté résistant est également cité comme témoin pour l'arrestation de Raoul Chassagne.
Plusieurs arrestations par la Gestapo avaient eu lieu à Liorac dans la même période que celle de Raoul Chassagne :
ces Lioracois, en particulier Maurice FAURE et Marcel RANCHAIN furent déportés mais contrairement à Raoul survécurent, et furent libérés .
A partir de ces évènements une rumeur se répandit à Liorac, désignant les responsables des dénonciations de résistants. Bien sûr n'ayant pas de documents, je ne prendrais pas partie.
Néanmoins un couple habitant le village fut jugé après la fin de la guerre : il s'agissait d'une femme C.L., secrétaire de mairie à Liorac et de son compagnon A.C. bûcheron à Liorac.
Tous deux avaient des contacts réguliers avec la Gestapo à Bergerac et affichaient un train de vie bien au dessus de leur statut professionnel.
La femme est explicitement nommnée dans le dossier militaire de Raoul Chassagne.
Ils furent jugés le 23 février 1945 à Périgueux et condamnés à mort, lui par contumace puisqu'il avait quitté la France.
Le 9 janvier 1946, un deuxième procès à la cour de Bordeaux transforma la peine de la femme en dix ans de travaux forcés,
et celle de l'homme aux travaux forcés à perpétuité, comme l'indique un article de Sud-Ouest du lendemain:
Mes sincères remerciements vont à :
► Annie Leygue qui m'a gentiment fourni les deux photos de son grand oncle.
► Unaï EGUIA BIZCARRALEGORRA, membre actif en Espagne du "groupe de travail pour la mémoire des déportés du camp de Hradistko" où de nombreux espagnols furent internés :
camp de Hradistko-VOIR ICI
Ce chercheur espagnol m'a contactée et m'a fourni le dossier de Raoul Chassagne disponible au Service Historique de la Défense (21P 435 425) et beaucoup d'informations sur le camp de Hradistko .
Qu'il soit ici remercié pour tous ses efforts et son travail de mémoire.