1789 Les cahiers de doléances
du Tiers-Etat



Mis en ligne le 17 août 2019         

Sous l'Ancien Régime, les Etats Généraux étaient des assemblées exceptionnelles convoquées par le roi afin de traiter d'une crise politique ou financière. Les derniers Etats généraux furent convoqués par Louis XVI pour le 1er mai 1789, afin de résoudre la crise financière due aux dettes de l'État.
Ainsi en janvier 1789, toutes les paroisses du Royaume furent invitées sur les ordres du Roi, lus dans tout le pays au prône de la messe, à rédiger pour chaque ordre ( Noblesse, Clergé et Tiers Etat) des "cahiers de doléances, plaintes et remontrances" et à choisir des représentants pour se réunir et voter aux Etats Généraux. C'était la première fois que le peuple était appelé à exercer ses droits : le Tiers Etat élisait ses représentants quasimement au suffrage universel puisque tous les hommes âgés de 25 ans ou plus et inscrits sur les rôles d'imposition pouvaient voter.


En janvier 1789, le royaume est au bord de la banqueroute et le roi Louis XVI convoque les Etats Généraux
■ La société est divisée en trois ordres : le Clergé et la Noblesse possèdent des privilèges honorifiques et fiscaux. Mais chaque ordre est hétérogène et les individus qui le composent sont plus ou moins privilégiés : le haut clergé est très riche alors que le bas clergé, les curés des paroisses, ne reçoit que la portion congrue, à peine suffisante pour vivre. La haute noblesse reçoit des pensions du roi alors que la petite noblesse s’accroche désespérément à ses droits seigneuriaux pour survivre.
Face à ces deux ordres "privilégiés", le Tiers Etat, essentiellement des paysans en Périgord. En 1789, la misère est générale, la famine est là. Après un été désastreux avec de violents orages et des ouragans, l'hiver 1788-89, a été extrêmement rigoureux, et le froid a été aussi terrible qu'en 1709 : le prix du blé a grimpé et au début de 1789, c'est la famine. Dans ces circonstances, le mirage d'un avenir meilleur pousse les misérables cultivateurs à venir exprimer leurs doléances, c'est d'ailleurs leur curé qui a lu la lettre du roi au prône de la messe et qui leur a expliqué le but des Etats Généraux.
■ Les ministres du roi espèrent renflouer les caisses de l'État en faisant participer à l'impôt le Clergé et la Noblesse. Tous considéraient que le peuple, écrasé sous les impôts et opprimé par la féodalité, était incapable de penser et de s'exprimer. Dans leur esprit, le tiers Etat ne comptait pas et puis chaque ordre disposant d'une voix, les privilégiés disposaient toujours d’une majorité de 2 voix contre une seule pour le Tiers Etat. Mais c'était sans compter sur la volonté du peuple et la convocation des états Généraux fut une erreur politique qui déboucha quelques mois plus tard sur la Révolution puis sur la chute de la Royauté...
■ Voici le message du roi qui a déclenché dans tous les esprits l'espoir de réformes :
Nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets pour Nous aider à surmonter toutes les difficultés où Nous Nous trouvons relativement à l’état de Nos finances, et pour établir, suivant nos voeux, un ordre constant et invariable dans toutes les parties du gouvernement qui intéressent le bonheur de nos sujets et la prospérité de Notre royaume". Ces grands motifs Nous ont déterminé à convoquer l’Assemblée des États de toutes les provinces de notre obéissance, tant pour Nous conseiller et Nous assister dans toutes les choses qui seront mises sous nos yeux, que pour Nous faire connaître les souhaits et doléances de nos peuples, de manière que par une mutuelle confiance et par un amour réciproque entre le souverain et ses sujets, il soit apporté le plus promptement possible un remède efficace aux maux de l’État, que les abus de tous genres soient réformés et prévenus par de bons et solides moyens qui assurent la félicité publique et qui nous rendent à Nous particulièrement, le calme et la tranquillité dont Nous sommes privés depuis si longtemps.
les cahiers de doléances du Tiers Etat
■ Les cahiers étudiés ici expriment seulement les points de vue du Tiers-État. Les deux ordres privilégiés, Noblesse et Clergé rédigèrent leurs cahiers séparément.
Les paroisses s'appliquèrent à la rédaction à la fin février et au début mars 1789. Mais les souris, le temps ont fait un choix et tous les cahiers n'ont pas été préservés. Les archives de la Dordogne viennent récemment de mettre en ligne les cahiers du Tiers-Etat disponibles VOIR ICI mais malheureusement celui de LIORAC n'en fait pas partie : dans la meilleure hypothèse il est perdu dans un fond d'archives, et sera peut être un jour retrouvé.
■ Pour pallier cette absence, j'ai choisi d'examiner les cahiers de doléances du Tiers-Etat rédigés dans des paroisses proches de Liorac :
Trois paroisses sont comparables à Liorac (671 hab en 1793) en terme de population: ce sont St Félix de Villadeix (774 hab), Cause de Clérans (737 hab) et Saint Georges de Monclard (680 hab). Lamonzie Montastruc était une paroisse plus peuplée (1027 hab) et Lalinde faisait presque figure de « grande ville » (1593 hab) et enfin Baneuil (206 hab) était beaucoup plus petit que Liorac.
Quelques cahiers supplémentaires ont été ponctuellement consultés (Sainte Foy de Longas, Fouleix, Paunat, Pezuls, Limeuil, Saint Avit Senieur, Trémolat).
■ Les documents sont composés de deux parties, l'ensemble faisant entre 5 et 10 pages. À cette époque, comme on peut facilement l'imaginer, les lettrés n'étaient pas nombreux. Ainsi ce fut le notaire, le juge local ou un avocat qui prit la plume pour transcrire les voeux des électeurs. Cependant, on remarque à leur orthographe et à leur style, qu'ils n'avaient pas en général une éducation très poussée ! Ainsi, les cahiers sont parfois difficiles à déchiffrer à cause de formules très alambiquées. De plus les cahiers ne suivent pas de plan, abordant successivement des thèmes prédéfinis. J'ai essayé de mettre un peu d'ordre en corrigeant l'orthographe et en rangeant les remarques par thèmes, pour que l'ensemble soit à peu près lisible.
► d'abord un compte rendu de séance,
  ※ avec pour commencer un rappel des ordres du Roi : "pour obéir aux ordres de Sa Majesté, portés par des lettres données à Versailles le 24 janvier 1789, lues par Mr le curé de la paroisse au prône de la messe, puis par la lecture faite à l'issue de la messe devant la porte de l'église". Tous ont donc été informés !
  ※ la mention du nom du rédacteur (souvent le juge de la juridiction) suivi des noms des principaux habitants (qui signent ce procès verbal à la fin s'ils savent signer). Tous les hommes français âgés de 25 ans ou plus, à condition qu’ils soient imposés, sont électeurs. Un début de démocratie... Ce fut vraiment l'époque de la naissance du peuple qui put s'exprimer et élire des représentants. Mais aux Etats Généraux, les députés votaient par ordre et non par tête et le Tiers-Etat, bien que plus nombreux, n'avait pas la majorité face aux 2 voix du Clergé et de la Noblesse.
  ※; puis les noms des députés élus qui promettent de représenter fidèlement l'assemblée des habitants et de remettre cahier qu'ils doivent porter à l'assemblée préliminaire à Périgueux.
  ► Le cahier de doléances
C'est le document le plus instructif, qui décrit la situation des habitants des campagnes du Périgord -"une des provinces les plus pauvres du royaume"-, à la veille de la Révolution.
Plusieurs thèmes sont abordés (cliquez sur le lien pour accéder directement au thème qui vous intéresse):


THÈME I - les impôts royaux
► Le "cayer" débute invariablement par les impôts et l'injustice de leur répartition :
nobles et écclésiastiques doivent payer au même titre que le Tiers Etat !


Quels étaient les impôts sous l'Ancien Régime ?


Les impôts royaux sont très nombreux, ils s'ajoutent aux impôts prélevés par les seigneurs et par le clergé catholique.

Le Tiers Etat supporte seul la majorité de ces impositions, comme l'illustre la caricature sur les Trois-Ordres (musée Carnavalet) où le Tiers Etat, représenté par un paysan appuyé sur une houe inscrite "mouillé de larmes" porte sur son dos un Noble et un membre du Clergé. Cependant la légende de la gravure indique l'immense espoir du peuple "IL FAUT ESPERER Q'EU SE JEU LA FINIRA BEN TOT".

 
la taille : impôt d'origine militaire n'est pas demandé aux nobles qui font la guerre ni au clergé qui ne doit pas porter les armes. Ainsi seuls les roturiers sont "taillables".
la capitation : tous les français la paient selon sa richesse. Le clergé verse un "don gratuit" pour tous ses membres
le vingtième : les revenus des propriétés, des charges de fonctionnaires, et les bénéfices industriels sont imposés. Le clergé en est exempté.
A cela s'ajoutent des impôts sur la consommation :
les aides perçues sur la consommation de certains produits (boissons...)
la gabelle qui est un impôt sur la consommation de sel, denrée indispensable à la conservation des aliments.
les traites étaient des droits de douane perçus sur la circulation des marchandises. Elles étaient levées aux frontières du royaume mais aussi des provinces et incluaient des droits sur les voies de communication, les péages.

La dîme, un impôt en nature s'élevant au dixième des récoltes, était prélevée par le Clergé.
Enfin la corvée était un travail non rémunéré imposé par le seigneur à ses sujets.

Souvent les cahiers commencent par un déchaînement de malédictions contre la nature expliquant les difficultés des paysans à cultiver un sol pauvre et ingrat, alors que partout les privilégiés possèdent les meilleures terres.
Toute l'imposition repose sur les roturiers et tous réclament que les actuels privilégiés paient aussi des impôts. On pourrait multiplier les citations, en voici quelques unes dans des villages proches de Liorac :
Baneuil se trouve sur un côteau fort mauvais, dont la moitié consiste en bois de châtaigners, petit chênes, broussailles et friches, que le reste en labour est possédé par un gros tiers au moins de nobles et privilégiés qui ne contribuent pas aux impositions. Ils demandent en conséquence que les impositions soient payées par tous les possesseurs de fonds (id. de terres), nobles, écclésiastiques ou tiers-etat .
Pezuls La paroisse est de fort petite étendue : elle est renfermée dans des enceintes de cottes fort escarpés et fort pierrés; quelques vallons fort sujet au ravant et fort ingrat, peu de bon chênes, peu de vigne, une petite prairie de beaucoup insuffisante pour le pâturage de ses bestiaux.
Sainte Foy de Longas Le terroir de notre paroisse/.../ est mauvais fons, maigre, stérile, beaucoup d'endroits non cultivés parce qu'on ne pourrait payer les frais de culture, n'ayant point de bois pour en extraire de l'engrais ou du fumier, couvert de tertres, les vallons, la plupart terres collantes, sujettes à la ravine, les meilleurs fons très médiocres dans son produit, plus de la moitié des terres qu'on y cultive ne vendent pas au delà de deux ou trois grains de froment ou d'avoine pour un de semence. Il y a très peu de bon dans notre paroisse, ce qui le rend d'une cherté extraordinaire, peu de particuliers qui aient des vignes et leur provision de vin, peu d'autres qui ont assez de foin, donc il est inévitable que tous les habitants manquent de l'une ou de deux choses de ces denrées sont obligés pour s'en pourvoir de supporter pour ainsi dire une seconde et troisième grosse taille. Il y a très peu de châtaignes dans notre paroisse, aucune espèce de taillis en carrasson ou feuillard en sorte qu'il n'y a rien de superflu à exporter pour le commerce et pour opérer la circulation d'argent parce que la seule taille confisque toute l'aisance de cette paroisse et la médiocrité du produit des fons chez la majeure partie des particuliers est induffisant pour vivre et pour supporter la fardeau des impôts.
Nous payons une grosse rente de blé tiercé au seigneur en froment, méture, avoine argent, et fruits.
Ce qui rend le district de la paroisse taillable plus à l'étroit pour le support des impôts, c'est que le seigneur y possède 12 métairies attelées de 21 paires de boeufs, quatre moulins, une forêt que les maîtres de forge ont acheté et beaucoup de prés, ce qui fait la contenance du tiers de la paroisse taillable. En descendant dans le détail intérieur des particuliers taillables de notre paroisse on trouve que le plus grand nombre sont obligés d'acheter le bois, le foin ou le vin, cela joint aux besoins quotidiens et toujours renaissants depuis le cordonnier jusqu'au chapelier et une infinité de besoins quotidiens avec une grosse taille et rente et le payment des frais de culture lorsqu'ils n'ont qu'une médiocrité de revenus, tout cela est extrêmement désolant et le degré de misère est général et extrême dans notre paroisse, car il n'y a aucune bonne maison dans cette paroisse.
Cependant notre paroisse supporte y compris les deux vingtièmes trois mille et quelques cens d'imposition, non compris les frais des huissiers et des saisies qui sont fréquents, ce qu'il fait qu'elle est trop chargée au moins de cinq cents écus car notre paroisse ne pouvant supporter le fardeau annuel de ces impôts quoique plus de deux tiers de cette paroisse ne mange que du pain de bled de pâques (pousses de blé vert) et ne boit que de l'eau,.../ on est obligé de renvoyer le reliquat d'une année à l'autre et il faut deux ans pour recouvrer l'imposition d'une année.
La paroisse désirerait l'abrogation de tant de privilégiés dans le royaume qui pour peu d'argent achètent des charges inutiles à l'état et sans fonction, le fardeau desquels reste sur le peuple qui se trouve épuisé plus que jamais et pour avoir soutenu de tout temps presque toutes les charges de l'état, tous les privilégiés augmente la misère générale et fait la désolation publique : car si le peuple est trop chargé il est hors d'état d'améliorer ses terres, et de payer les ouvriers, les fons cependant faute de réparations dépérissent tous les jours, les revenus diminuent...
Lalinde située sur la rive droite de la Dordogne, est dans une plaine étroite dont un sixième à peu près est occupé par un chemin royal de la largeur de 48 pieds allant de Bordeaux à Sarlat et par le chemin de halage des bateaux. Le reste des fonds est fort exposé aux ravages fréquents de la rivière. Le fonds de la plaine est composé d'un quart des fonds de bonne production, le reste médiocre et sablonneux exposés aux débordements de la rivière. Le plateau ou causse est un fonds ingrat et pierreux, dépouillé de bois, peu de vignes très mauvaises: beucoup de fonds incultes, souvent de rochers et ruinés par les ouragans fréquents sur le canton montueux.... Les meilleurs fonds, les uniques productifs, sont possédés aujourd'hui par des privilégiés exempts de contributions.
En résumé, les fonds roturiers sont souvent les plus mauvais et ce sont les terres assujettties à l'impôt. Il existe certes quelques beaux domaines riches et productifs mais ces fonds appartiennnt aux privilégiés. Tout l'impôt pèse sur les terre de la roture, inférieures en qualité et en surface. De plus le nombre des exemptés augmente constamment par l'achat de charge et leur part d'impôt retombe sur les roturiers restants (puisque la paroisse est imposée pour une somme globale et la part de ceux qui sont exemptés retombe sur ceux qui restent.
cause de clérans :" il serait justice qu'il n'y eût qu'une seule imposition répartie sur tous les propriétaires, tant privilégiés que les autres et pour proportion à l'étendue et valeur de chaque propriétaire".
clermont de beauregard demande "un seul impôt dont la perception sera simplifiée pour suppléer à toutes les autres impositions et droits établis dans l'intérieur du royaume dont la répartition se fera par égalite sur tous les ordres et suivant la faculté de chacun sans avoir égard à aucun privilège."
st laurent des bâtons "Le Tiers Etat se trouvant surchargé et hors d'état de payer si on n'allège son fardeau, demande qu'il n'y ait qu'une seule imposition et un seul rôle et que le Clergé, la Noblesse et le Tiers Etat y soient compris et payent à proportion des fonds qu'ils possèdent dans chaque paroisse."
limeuil :"l'impôt doit être également et proportionnellement supporté par tous les citoyens et qu'en conséquence tout privilège à cet égard est essentiellement injuste et tarit infailliblement les ressources de la nation lorsque partout le fardeau de l'impôt pèse uniquement sur les citoyens qui par leur industrie , par leur application au commerce ou à l'agriculture pourraient les entretenir. Qu'il est de toute justice et de toute nécessité de soulager cette classe de citoyens vraiment utiles."
lamonzie montastruc : "il est bon qu'il n'y ait qu'un seul et même impôt qui suppléra pour toutes les impositions, dont la répartition sera faite par égalité sur tous les revenus des trois ordres sans avoir égard à aucun privilège personnel."
Baneuil demande que "les impositions soient payées / par tous les possesseurs de fonds, nobles, écclésiastiques ou tiers etat".
saint felix de villadeix résume en une phrase les demandes que l'on trouve dans presque tous les cahiers : " Tous les impôts doivent être réduits en un seul et la répartition pour être juste et équitable doit être faite sur toutes les personnes sans distinction d'état ni de condition et en proportion des facultés de chacun".
limeuil "Considérant que le nécessaire absolu ne peut être imposé, il est indispensable de rejeter le fardeau de l'impôt sur le riche qui abuse du superflu"
Saint Laurent des bâtons fait remarquer que le Périgord "a payé des droits très considérables pour s'affranchir de la gabelle du sel et demande la continuation de ce privilège". (en 1552, la Guyenne avait effectivement racheté la gabelle au roi Henri II).

Il est intéressant de remarquer que malgré les fortes impositions, le peuple reste essentiellement monarchiste et respectueux des volontés du roi.
Ainsi on peut lire sur le cahier de paunat:
"pour subvenir aux besoins de l'Etat, quoique cette paroisse soit surchargée d'imposition, elle consent pendant dix ans que son taux de taille, vingtièmes, capitation demeure tel qu'il est fixé pour la présente année 1789 à condition que tous les écclésiastiques, les gentilhommes, les nobles gens de robe et de finance et généralement tous les anciens et nouveaux privilégiés seront imposés à l'avenir ....par proportion aux biens nobles ou roturiers qu'ils y possèdent de quelque espèce et nature que ce soit ayant seulement égard à leur surface et à la qualité du sol".

► simplification de l'administration des finances : trop d'abus, économies possibles
L'impôt rentre péniblement ce qui n'est guère étonnant au vu des circonstances. Aussi l'administration fiscale déploie les receveurs des tailles secondés par une multitude d'huissiers aux tailles qui prennent des frais à chaque intervention. De plus les abus sont fréquents. Les paysans redoutent leur arrivée dans le village, car tout retard de paiement entraîne la saisie de leurs biens de première nécessité. Aussi plusieurs paroisses demandent des réformes dans l'administration :
fouleix note qu'il est "essentiel de remédier aux abus toujours renaissants dans une administration aussi compliquée et aussi étendue que celle de la France"
sainte foy de longas : indique que "trop de receveurs extenue les finances de l'état"
cause de clérans fait remarquer que "la levée de l'imposition actuelle est très onéreuse soit à cause des différentes contraintes exercées chaque mois par le receveur des tailles, soit à cause des droits attribués aux collecteurs-receveurs" et se déclare "prête à faire tous les efforts que le bien et la prospérité de l'état exigera dans les circonstances présentes, mais qu'il ne doit être consenti à aucun impôt qu'après que les réformes dans l'administaration des finances dans la régie et la répartition des impôts ne soient faites et améliorées".
saint georges de monclard demande "la réforme d'une infinité d'abus sur les frais de rôle et de contrainte, une économie sur la perception des recettes d'impôts et une répartition mieux proportionnée de paroisse à paroisse."
st felix de villadeix demande de "changer l'administration des finances afin d'en diminuer les frais trop onéreux" et de "supprimer les huissiers aux tailles et porteurs de contraintes, remplacés par les sergents royaux sur le lieu.../il faudrait un tarif qui fixe d'une manière claire et précise les droits que devraient percevoir ces derniers tant par jour que pour chaque opération"
lamonzie montastruc déclare que "l'administration des finances doit être changée afin d'en diminuer les frais onéreux".
limeuil "considérant que la forme de la perception de l'impôt est à la fois nuisance pour le particulier et grevable au gouvernement soit à cause du nombre excessif de préposés qu'il faut payer soit à cause des exactions multiples dont l'importance de leurs emplois leur assure l'impunité, il serait essentiel de donner à cette partie de l'administration une forme moins dispendieuse, plus simple et moins exposée aux abus".
paunat suggère que "chaque paroisse soit libre de choisir son collecteur et de fixer les appointements qu'il faudra lui accorder"..."et que "tous les huissiers aux tailles soient réformés".
st laurent des bâtons demande "la proscription des huissiers aux tailles qui agravent la misère par des cautions plus qu'injustes".
clermont de beauregard déclare "que plus grand nombre se trouvant dans la dernière détresse et hors d'état de payer leur quotité, surtout au temps précis, n'ayant point de châtaignes ni en conséquence de bétail à vendre" demande "la proscription des huissiers aux tailles qui agravent leur misère par des cautions plus qu'injustes".
lamonzie montastruc demande que "tous les huissiers établis pour toutes les impositions soient réformés vu leur inutilité" et qu'ils puissent "être suppléés en cas de nécessité par les huissiers royaux".

► rétablissement des états particuliers du périgord pour répartir les impôts
le roi fixait une somme globale à percevoir pour l'ensemble du royaume.Cette somme était ensuite partagée entre les intendants des différentes provinces qui la répartissaient entre les paroisses. Puis des collecteurs dressaient ensuite le rôle d'imposition.
saint felix de villadeix demande "des états provinciaux pour établir, fixer et répartir le dit impôt"
clermont de beauregard réclame que "l'administration de toutes les impositions soit confiée aux membres des états particuliers de chaque province".
sainte alvère : suggère "que tous les impôts soient répartis à l'avenir par des états provinciaux à laquelle seront asujettis tous les biens fonds sans distinction d'aucun privilège ni exemption pour la noblesse ni le clargé qui seront avec le tiers Etat sur un seul et même rôle."
limeuil déclare que "la prospérité de cette province exige le rétablissement de ses états particuliers, organisés conformément à ceux de la province du Dauphiné".


THÈME II -
les cahiers s'attaquent au clergé, aux ministres du roi et à la féodalité :

► le Clergé : dans les cahiers, on n'accuse jamais le curé de la paroisse, il fait partie du village et son revenu est d'ordinaire réduit à la portion congrue par le gros décimateur (l'évêque, les chapitres, les abbés, les prieurs et les couvents) : le curé recevait du décimateur une pension annuelle qui était moins du tiers du produit de la dîme. Dans ces conditions, comment imaginer qu'un curé qui n'avait pas assez pour vivre puisse secourir les indigents ? Aussi, dans les cahiers les griefs ne se trompent pas de cible : les couvents et le haut clergé font l'objet d'attaques systématiques.
limeuil "considérant que des moines inutiles opulents et licencieux dévorent une grande partie de la substance de l'état au lieu d'en augmenter les ressources par des occupations et des travaux utiles, qu'ils enlèvent à la terre des cultivateurs dont la disette funeste se fait cruellement sentir dans toutes les provinces, à l'industrie des artisans, à la société des citoyens précieux, il serait avantageux à la nation d'accélérer l'extinction de ces retraites qui outragent la nature sans servir à la religion. "
sainte alvère "Que tous les moines ou communautés soient réduites à 800 livres pour chaque individu, le restant de leur revenu employé au rétablissemnt des finances."
"Que les évêques et archevêques soient tenus de résider dans leur diocèse."
Saint Avit Senieur fait remarquer que "les fonds de la paroisse sont affectés d'une grosse rente payable au chapitre de Sarlat qui en est seigneur.On ne doutera pas que nous mangeons un pain quoique gagné à la sueur de notre front guère moins mauvais que les esclaves le mangent en turquie (!), et nous ne pouvons exiger que le curé que la providence nous a donné nous assiste parce qu'il est lui même réduit à la simple congrue".
lalinde : "par une injustice criante, la paroisse de Lalinde paye 100 livres annuellement à mr le Curé pour lui tenir lieu de presbytère et cette somme est imposée sur les taillables seulement".
► les ministres du roi :
paunat souhaite que "les pensions accordées aux ministres sortant de deux fonctions soient un peu plus modérées".
► les seigneurs :
La banalité forçait les paysans à se servir du moulin banal et du four banal , tous deux propriétés du seigneur, pour moudre leurs grains et cuire leur pain, bien sûr moyennant redevance :
paunat réclame "que les banalités des moulins si onéreux aux peuples soient supprimées"
baneuil signale que "les seigneurs riverains de la rivière Dordogne perçoivent de gros droits de péage depuis Souillac jusqu'à Libourne, sans entretenir la liberté de la navigation, au contraire l'embarassant par des pêcheries, moulins et autres ouvrages qui exposent les bateaux montant et descendant sur cette rivière dans un danger perpétuel de naufrage, ce qui arrive très souvent".
cause de clérans exlique que "différents péages, moulins et pêcheries établis au profit de certains seigneurs sur la rivière Dordogne sont autant d'obstacles à la libre circulation des denrées et à la navigation et gênent beaucoup le commerce : la suppression doit en être demandée"

THÈME III -
la libre circulation des marchandises- les abus des contrôles
saint felix de villadeix :"les droits qui se perçoivent aux contrôles sont exhorbitants. Les commis des différents bureaux connaissent le tarif qui a été fait mais l'interprètent à leur guise. Pour détruire cet abus, faire un nouveau tarif plus clair et plus précis."
baneuil souhaite que les denrées du pays aient une circulation libre pour tous le royaume et qu'elles soient déchargées des droits exhorbitants auxquelles elle sont assujetties pour être seulement transportées d'un lieu d'une province à l'autre".

THÈME IV - les routes et chemins - la corvée
A la fin du XVIIIe siècle, le Périgord avait des routes dans un état déplorable et une seule grande communication postale, la route de Limoges à Bordeaux. Cette province avait été grandement délaisée depuis des décennies et l'absence de routes l'isolait presque entièrement du reste du royaume. Là encore les paroisses pensent que tous les habitants devraient payer pour la remise en état des routes.
saint felix de villadeix : "les chemins royaux de ville en ville et de bourg en bourg devraient être mis dans un état praticable et pour fournir aux frais de réparation, il serait à désirer qu'il fut fait une levée en argent sur les trois ordres sans distinction."
cause de clérans :"depuis bien des années les routes publiques de même que les chemins privés, sont très négligés, il convient de s'en occuper de la façon la moins onéreuse pour le peuple"
saint georges de monclard : indique que "les habitants des campagnes (c'est à dire la partie de la nation la plus pauvre) ont fait des routes, ils n'en avaient pas besoin, ils se servaient également bien d'un chemin ordinaire. Les riches, les habitants des villes pour la commodité desquels elles paraissent principalement avoir été faites doivent bien au moins contribuer à leurs réparations et à leur entretien."
et réclame "que la corvée faite à prix d'argent soit prise sur les trois ordres proportionnellement au taux que chacun aura sur le rôle d'imposition".
baneuil suggère que "les provinces soient autorisées à améliorer et entretenir leurs chemins respectfs aux dépends de l'état et que les frais relatifs à cet objet soient pris sur la masse des impositions royales".
lamonzie montastruc espère que "les chemins royaux de ville à ville et de bourg à bourg seront mis en état praticables, et que pour parvenir à ces réparations, il sera fait une levée d'argent supportée par égalité sur les trois ordres"
lalinde "la communauté n'a point de route praticable afin de communiquer avec d'autres lieux du périgord, la ville de Périgueux et pour le service de la poste aux lettres. Les chemins de traverse sont absolument impraticable et le canton est sans moyen afin d'y pourvoir. "les corvées des chemins et autres travaux publics ont toujours été sevis par les habitants taillables ainsi que pour les autres contributions" et signale que des réparations ont été faites depuis 3 ou 4 ans, mais qu'elles paraissent avoir été faites d'une manière injurieuse à la bonne administration".
clermont de beauregard suggère que "les corvées pour les chemins et autres ouvrages publics soient converties en argent et supportées par les trois ordres" et que "les réparations des ponts et chaussées, grandes routes seront confiées aux états particuliers de chaque province".


THÈME V - politique et reconnaissance du tiers-etat
saint georges de monclard "rendre au tiers-etat la justice qui lui est dûe"
le vote par tête et non par ordre
Saint Avit Senieur souhaite que "le nombre de députés du Tiers Etat soit égal aux députés de la noblesse et du clergé ensemble".
saint georges de monclard souhaite que "les trois ordres de l'Etat soient réunis aux Etats Généraux pour voter ensemble et par tête"
clermont de beauregard demande "que dans la tenue prochaine des Etats généraux, les voix seront comptées par tête et non par ordre."
rétablissement des états particuliers du Périgord
vus comme une administration territoriale locale, capable de résoudre beaucoup de problèmes du Périgord :
Ainsi limeuil déclare que "cette province dont la pauvreté est si connue serait cependant susceptible d'amélioration, mais que pour y réussir il est indispensable de lui donner une administration patriotique composée de membres à portée de prendre des connaissances précises du local, intéressés à mettre du zèle et de l'activité dans leurs opérations, instruits des moyens et des ressources, placés avantageusement pour ??? et surveiller tout ce qui peut arrêter, faire réussir ou échouer des entreprises importantes comme rendre les rivières navigables pendant une par de l'année et dans un cours plus étendu, ouvrir des routes dont cette province est presqu'entièrement dépourvue, encourager des défrichements immenses qu'il y aurait à faire dans cette province.../ la prospérité de cette province exige le rétablissement de ses états particuliers, organisés conformémént à ceux de la province du Dauphiné.
tenue régulière des Etats Généraux : leur convocation ne saurait rester à la merci du bon vouloir du roi, ils devront à présent être périodiques : c'est une demande qui apparait dans la majorité des cahiers, leur fréquence variant d'une paroisse à l'autre
clermont de beauregard demande que "les états généraux soient renouvelables à des époques déterminées"
fouleix précise que "les états généraux seront convoqués tous les cinq ans"
limeuil les réclame tous les trois ans

THÈME VI - demandes diverses
Les cahiers n'abordent pas tous les sujets qui suivent :
► la justice :
Lalinde La justice des 7 paroisses de cette juridiction, un juge royal et un procureur du roi, souffre infiniment depuis de longues années de l'absence de ces premiers officiers qui ont leur domicile très éloignés. Tous les habitants réclament leur présence au sein de la ville.
sainte alvère Que tous les abus dans l'administration de la justice civile et criminelle soient abolis, que les formes ruineuses pour les plaideurs soient simplifiées, que les tribunaux d'exception soient supprimés.
Que soit établie une juridiction consulaire à Périgueux, Sarlat et Bergerac pour prévenir les frais immondes qui résultent du voyage des parties et témoins à Tulle, Bordeaux et Limoges.
Paunat "il est avantageux d'avoir des juges compétents sur les lieux sans être forcé d'aller plaider en première instance à sept ou huit lieues de son domicile"
► la mendicité :
lalinde "nous sommes inondés de mendiants dont la plupart pourraient gagner leur vie en s'occupant de travaux publics. Il conviendrait que chaque pauvre fut obligé de rester dans sa paroisse, chaque communauté offrant malgré sa détresse de nourrir les siens.
► la milice :
Chaque paroisse du Périgord était tenue de fournir un soldat désigné par le sort entre les garçons et les jeunes hommes mariés. Tous les ans le paysan voyait avec terreur se dresser l'épouvantail de la milice.
paunat réclame que "la voie du sort pour l'entretien des milices soit proscrite à jamais et remplacée par l'achat de sujets ("soldats") par chaque paroisse et que le montant de l'imposition soit réparti sur les trois ordres".
clermont de beauregard pense "qu'il serait à propos de supprimer le sort de la milice parce qu'il s'offre comme humiliant et prive l'agriculteur d'une infinité de bras précieux".
► la maréchaussée, la police :
trémolat demande que "les gardes du tabac et gabelle soient supprimés, et que la maréchaussée s'en occupe en veillant à la sécurité publique et remettant les contrebandiers dans les prisons de la sénéchaussée pour être jugés d'après le code qui sera établi sur l'avis par les Etats Généraux."
demande également que "les brigades de maréchaussée soient tenues, sans nouveaux frais, d'accompagner les collecteurs dns les maisons des redevables des impositions".
paunat demande que "tous les gardes du tabac et gabelle et autres personnes employées pour empêcher la contrebande soient réformées et que les anciennes et nouvelles brigades de maréchaussée soient tenues de ce service sans nouveaux frais".
► sujets divers :
clermont de beauregard souhaite que "toutes les mesures des grains de la province soient égales et que le poids en soit déterminé "
Rappelons qu'en 1789 chaque province, voire chaque paroisse avait ses mesures propres et que l'uniformité des poids et mesures n'a été définitivement imposée dans la jeune république qu'en 1795.
saint laurent des bâtons déclare que depuis que l'on vend du tabac en poudre il règne parmi le peuple quantité de maladies de diverses espèces que l'art de la médecine attribue à la malpropreté et à la corruption du tabac. Plusieurs qui par ordre des médecins y étaient habitués s'en interdisent complètement l'usage, ce qu'ils ne peuvent faire impunément. On demande que le tabac soit donné en billes aux buralistes pour être distribué de même aux particuliers."
paunat fait la même remarque : "on a grandement à se plaindre des falisifications faites au tabac qu'on débite en poudre. Le moyen bien avisé serait de le débiter en carotte comme jadis.


CONCLUSIONS
A la fin de ces assemblées du Tiers Etat, les paroisses ont donc élu leurs délégués, chargés de porter leurs cahiers de doléances à l'assemblée de Périgueux : comme nous l'avons vu, il y avait très peu de lettrés en Périgord, et les voix se sont portées en majorité sur des hommes de loi ou des membres de la petite noblesse locale. En voici quelques exemples dans les paroisses proches de Liorac :
Saint Felix de Villadeix : Bernard du BREIL de Lacroze et Guillaume LAMBERT, avocats.
Cause de Clérans : Armand MEYNARDIE de Roussille, notaire royal , Pierre DEPYS DE GRAVE
Saint Georges de Monclard : Jacques de LASCOUPS et M.de MARCILLAC
Baneuil : Etienne FAGETTE LESTANG propriétaire
Lamonzie Montastruc : Gabriel GAY docteur en médecine, Jean BOUTIN bourgeois, Guillaume VALETON LA TISSANDERIE, bourgeois
Lalinde : Pierre Louis AUSSEL du MAYNE avocat,1er consul, Jacques Philippe FONTAYNE, docteur en médecine et consul, sr FONTANELLE consul,sr Pierre GAILLARD DE LAUMEDE (capitaine de la garde),Maître GONTIER DE BIRAN docteur en médecine (1745-1822) L'assemblée générale réunie à Périgueux a ensuite élu, parmi les délégués des paroisses, les députés devant participer aux Etats Généraux .

WIKIPEDIA fournit le nom des députés du Tiers État pour la Sénéchaussées de Périgueux, envoyés à Versailles pour les Etats Généraux :
. Jean-François FOURNIER de La CHARMIE, conseiller du roi, lieutenant général en la sénéchaussée et siège présidial de Périgueux. . Jean-Baptiste LOYS, avocat à Sarlat. . Guillaume GONTIER DE BIRAN, lieutenant général de la sénéchaussée et maire de Bergerac. . Pierre-François PAULHIAC de la Sauvetat avocat, demeurant à Douville. Comme on peut le constater, il n'y avait pas de paysan pauvre parmi eux !


On se souvient de la suite:
◊ Les hésitations et les maladresses du roi,
◊ le 17 juin, les Etats Généraux se déclarent Assemblée Nationale, représentant la Nation
◊ le 20 juin, le Serment du Jeu de Paume où les députés jurent de ne pas se séparer avant qu'une Constitution soit rédigée et approuvée. Louis XVI ne pouvait accepter une monarchie constitutionnelle et fit placer d'importantes troupes autour de Versailles.
◊ Le 9 juillet l'Assemblée Nationale devient Constituante.
◊ A partir de là tout va très vite, les espoirs se sont envolés et la Révolution a commencé :
Le 4 août les droits féodaux sont abolis.
Le même jour, la Constituante décrète que la Constitution sera précédée d'une "Déclaration des droits de l'homme et du citoyen" : chaque article condamne les institutions et les pratiques de l’Ancien Régime.
◊ Le 21 septembre 1792, la monarchie constitutionnelle est abolie....

@ Marie-France Castang-Coutou
Contact: postmaster*liorac.info (remplacer l'étoile par @)