Voilà un souvenir qui pour moi évoque impérativement mon père disparu en 1990 !
Jean Castang-Coutou, "Jeannot" à Liorac, adorait les bois et aller chercher les champignons (traduisez "les cèpes"). A Bergerac, il avait un véritable "réseau de renseignement" qui l'informait "Ils commencent à se trouver !, il y en avait quelques uns sur le marché" .
C'était la fin de l'été, le moment des orages violents en Dordogne. La pluie tombait en grosses gouttes pénétrant les bois. Quand en plus, la lune était "montante", mon père disait "je les entend pousser, ils ne vont pas tarder"! Deux jours après la pluie, il partait dans les bois et revenait avec un sourire en disant " c'est bien mouillé, la terre est fleurie, demain matin on y va !"
Et c'était le signal de l'aventure, il fallait se lever tôt pour arriver "avant les autres" ! Ma mère venait me réveiller, il ne faisait pas encore jour : rapide toilette, les bottes aux pieds, une tartine et nous partions.
Tout était prêt depuis la veille :
le panier était choisi (il y en avait beaucoup au grenier, de toutes sortes et de toutes les tailles : je prenais un petit bouyricou, ce panier en osier plus léger que le panier à vendanges. Mon père avait le sien, beaucoup plus grand, il avait l'espoir d'une bonne cueillette !),
le bâton qui permettait d'écarter les grandes fougères et de soulever les feuilles tombées qui faisaient de petits tas bombés et qui souvent cachaient un cèpe juste né !
et
l'opinel réservé à mon père, qui permettait de ramasser le champignon en le coupant proprement à sa base en laissant en place le précieux mycellium pour les jours suivants...et il n'était pas rare d'en retrouver au même endroit. Papa connaissait chaque centimètre carré de la forêt et avait le souvenir précis de l'emplacement de chaque cèpe qu'il avait cueilli les années précédentes !
A cette époque le bois était continu de la Roque à la Pigne, nous marchions assez rapidement dans la semi obscurité sur la route de Mouleydier et nous pénétrions dans le bois au niveau "des carrières"
A partir de là, le rythme ralentissait, mon père me disait "regarde bien sur les bords du chemin" . Très vite il en trouvait un et m'appelait pour le voir. Il me disait "regarde bien autour, ils ne poussent jamais tout seuls" : c'était une façon pour lui de m'en faire trouver, il avait déjà repéré "les petits frères" et me laissait les découvrir. Quelle joie quand j'en déposais un dans mon panier garni de fougères. Souvent sous le lierre qui tapissait le sol, on dénichait une famille de "têtes de nègre", ces petits cèpes trapus et noirs, fermes, juste sortis de terre.
Vers 9h, on faisait une pause : assis sur une pierre de grès (la forêt gardait le souvenir de ces hommes qui avaient taillé, jusqu'à la guerre de 14, des blocs de grès pour faire des pavés pour les rues de Bordeaux), on mangeait le casse croûte que ma mère avait glissé dans le panier. En cette heure matinale, la forêt était calme, pas de bruit, on entendait seulement dans le lointain sonner la cloche de l'église de Liorac. D'immenses toiles d'araignée soulignées de perles de rosée paraient les fougères. L'araignéee attendait ses proies, mais il était trop tôt pour que les insectes volent. Il faisait encore frais et les serpents n'étaient pas sortis de leur cachette. Plus tard dans la journée quand le soleil percerait jusqu'au fonds du bois, on rencontrerait parfois une vipère lovée au bord du chemin ou on percevrait l'éclair ondulant d'une longue couleuvre. s'enfuyant quand on avançait en écartant les fougères.
Les paniers se remplissaient, des cèpes blonds, des têtes de nèggre, quelques vieux au dessous vert, plus mous , ceux qui avaient le plus de goût. Certains étaient déjà grignotés par de grosses limaces qui se cachaient sous les chapeaux. C'était l'époque où l'on ramassait un panier de champignons pour faire une fricassée ou une omelette mais certainement pas dans un but commercial comme aujourd'hui. Mais déjà les voitures "étrangères" étaient pistées... Un jour mon père, sur la fin de sa vie, en a fait les frais. Marchant moins bien, il s'était rapproché de l'entrée du bois avec sa 404, et au retour il avait trouvé les quatre pneus dégonflés ! Sa voiture était connue, il était du village, je me souviens qu'il en avait été malade...
De retour à la maison, on étalait la cueillette sur la table, on mettait les plus vieux à part, pour les cuire en premier. La terre avait déjà été enlevée dans le bois et il suffisait de retirer quelques petits morceaux abimés par les limaces.
Les champignons étaient nettoyés avec un torchon humide,jamais lavés coupés en morceaux et hop dans la poêle dans un peu d'huile chaude. Un hachis d'ail et persil agrémenté de jambon du pays finement coupé teminait heureusement le plat.
Papa aimait certes manger des cèpes mais son plus grand plaisir était de les chercher. Et il racontait les histoires de cèpes comme des histoires de chasse... Un jour, ma mère paniquée par une vipère qui s'était dressée juste devant elle en sifflant, et puis juste après la guerre (39-45), avec Charles Coutou son père adoptif, une telle abondance qu'ils n'avaient plus de place dans les paniers et avaient été obligés de laisser les queues et d'enfiler les têtes sur des tiges de fougères pour les ramener... Le rêve !
En 1979, jeune grand père, il commençait déjà l'éducation de ma fille !