L'histoire se passe un samedi du mois d'août 1768: un personnage important,
George Merlhie
de la Grange, Ecuyer, Conseiller du Roy, assesseur de la maréchaussée générale de Guyenne au
département de Périgueux, bourgeois de Périgueux
conduit une expédition à
Liorac pour vérifier l'existence d'un temple protestant, qui lui a été signalé.
Rappelons que l'Edit de Nantes, qui accordait la liberté de culte aux protestants avait
été révoqué en 1685, soit plus de 80 ans avant, et que dans
ces conditions il ne devait plus y avoir aucun protestant sur le sol français. Or Bergerac
et sa région avaient été, depuis les débuts du protestantisme en France,
une place forte protestante et le culte protestant, bien qu'interdit, avait continué dans
la clandestinité.
Le procès verbal de cette expédition, provenant des Archives Départementales
à Périgueux (B598), a été retranscrit le plus fidèlement possible en
conservant orthographe et abréviations.
Comme nous allons le voir, il ne s'agissait pas d'une expédition "punitive",
puisque Merlhie de la Grange n'était accompagné que d'un greffier et d'un cavalier
et qu'il a pris des précautions pour ne pas rencontrer directement les protestants. Voici
le compte-rendu de cette "expédition" :
DE PÉRIGUEUX à LIORAC, À CHEVAL UN SAMEDI D'AOÛT :
L'an mil sept cent soixante huit, et le treize du mois d'août, nous George Merlhie de la Grange,
Ecuyer, Conseiller du Roy, assesseur de la maréchaussée générale de guienne au Départeman du
Périgord étant instruit par des avis secrets qu'il se faisait des assemblées nombreuses sous
prétexte de religion dans un village de la paroisse de Liorac située dans la présente sénéchaussée
de Périgueux, sommes parti de la dite ville de Périgueux lieu de notre résidence, accompagné
du greffier de la maréchaussée et escorté de mathias peyrou l'un de nos cavaliers à la résidence
de la présente ville et nous nous rendons au bourg de Liorac distant de six grandes lieues de
périgord de la dite ville de périgueux et étant arrivés aud. Bourg nous y sommes arrêtés
attendu l'heure tarde pour y coucher et pour prendre les éclaircissements nécessaires à la
découverte que nous nous proposons de faire, et nous étant enquis, tan avec le Sr curé de la
paroisse de Liorac, que quelques autres personnes, de la vérité et du lieu des dites assemblées,
il nous a été affirmé par les uns et par les autres qu'en effet plusieurs protestans de l'un
ou l'autre sexe s'assemblent très souvent en nombre d'environ quarante ou cinquante personnes dans
un temple situé dans le village de la Filolie susdite paroisse de Liorac, qu'ayant vu nous avons
sursis au lendemain pour nous transporter dans ledit village et y prendre s'il était possible
de plus grands éclaircissements, de tout quoy nous fait adressé notre procès verbal dans le
bourg de Liorac les jours, mois et an que dessus.
LE DIMANCHE MATIN, DÉPART à CHEVAL POUR LA FILOLIE "PAR
DES CHEMINS DÉTOURNÉS" :
Et advenan le lendemain quatorze dudit mois d'aout nous, assesseur de maréchaussée susdit,
ayant été averti que les protestans étaient assemblés en assez grand nombre dans leur temple
situé au dit village de la filolie présente paroisse, avons estimé qu'il était de la prudence
d'attendre qu'ils fussent dissipés avant de nous présenter dans le dit village et en effet
ayant été avertis à une heure après midi qu'ils étaient tous retirés, nous sommes partis
du dit bourg de Liorac accompagnés et escortés comme dessus, nous étant rendus par des chemins
détournés au dit village de la filolie, nous nous sommes enquis de la demeure du nommé Gabrielou
laboureur hbt dudit village que l'on avait dit être dépositaire de la clef du temple.
Et le dit Gabrielou s'étant présenté, nous lui avons fait connaître nos qualités et l'avons
requis de nous ouvrir la porte dudit temple ce qu'il s'est mis sur le champ à même de faire en
allant chercher la clef, mais il nous aurait dit au retour que les protestans l'avaient emportée
quoiqu'ils ne fussent point dans l'usage de le faire et qu'il allait essayer d'ouvrir la porte
dudit temple avec une clef qu'il avait dans sa maison ressemblant à celle de la porte du temple.
Ledit Gabrielou s'étant mis en mesure d'essayer une clef qu'il avait pris chez lui, la porte
s'est trouvée fermée seulement au loquet.
ET APRÈS CES PÉRIPÉTIES, LA VISITE DU TEMPLE :
Ledit Gabrielou l'ayant ouverte, nous y sommes entrés avec lui et avons trouvé que ledit temple
consiste en une chambre au rez de chaussée, laquelle n'est ni planchée ni carrelée paraissant
à peu près au carré, avons observé dans l'angle qui est à droite en entrant une baignoire
recouverte au dessus de laquelle est une perche laquelle est fichée par les deux bouts dans
les murs sur laquelle le dit Gabrielou nous a dit que le ministre qui faisait le prêche aux
protestans faisait étendre un linceul qui lui couvrait la partie inférieure du corps lorsqu'il
faisait ses prédications monté sur ladite baignoire au dessus de laquelle avons observé une
petite fenêtre dans laquelle avons trouvé les Psaumes de David mis en vers par Marot* et notes
en plein chant et avons laissé ledit livre dans lad. fenêtre, avons en outre compté huit bancs
d'environ dix places les uns portant les autres et quatorze chaises de paille ou de bois dans
led temple.
Ayant enquis ledit Gabriellou s'il était protestant il nous a répondu que non, qu'au contraire
il était catholique; l'ayant ensuite enquis à qui appartenait l'édifice dans lequel est led
temple, il nous a répondu qu'il appartenait au sieur Valleton de la roque, protestant, habitant
de la présente paroisse de Liorac et que la maison à laquelle est adossée led. Temple lui
appartient en propre; l'avons ensuite enquis du nom et de la demeure du ministre qui a us de
faire les prédications dans led temple, il nous a répondu ignorer l'un et l'autre. Enfin l'avons
interpellé de nous dire si les protestants s'assemblaient souvent et en grand nombre dans led
temple. Il nous a répondu qu'ils s'assemblaient une fois la semaine et ordinairement le dimanche
entre les deux messes de la paroisse de Liorac et au nombre d'environ trente à quarante personnes,
de tout quoy avons fait et dressé le présent procès verbal pour servir à telles fins que de
droit , et n'a ledit Gabriellou signé pour ne savoir de ce enquis.
Et advenant le lendemain quinze dud. mois d'aout mil sept cent soixante huit, nous assesseur
de maréchaussée susd accompagné et escorté comme dessus, sommes partis dud bourg de Liorac et
nous sommes rendus dans la ville de Périgueux lieu de notre résidence, où nous avons aussi
fait et dressé le présent procès verbal.
Ce procès verbal est signé à chaque page par Merlhie de Lagrange et Dubois.
* Il s'agit de la traduction intégrale des 150 psaumes hébreux mis en rime française vers 1541
par Clément Marot, et continuée par Théodore de Bèze.