Louis Abel FAGET :
des grands travaux aux Bigayres


Page mise en ligne le 31 mars 2020         

Voici un témoignage de Patrice FAGET
qui nous raconte l'histoire de la laiterie construite aux Bigayres par son grand-père Louis Abel FAGET qui fut une figure marquante de Liorac entre 1900 et 1940 : il m'a fourni texte et photos. Je n'ai fait que la mise en page en ajoutant quelques commentaires, en attendant de trouver peut être des documents supplémentaires. Un grand merci pour ce témoignage !
 

Louis FAGET dit Abel:
► Il naquit le 3 Février 1870 d'une famille propriétaire d'un petit domaine d'une cinquantaine d'hectares avec maison de Maître situé sur la commune de Cause de Clérans, « Les Granges de Babut » ou plus communément «Les Granges». Il ne reste aujourd'hui de cet endroit qu'un tas de pierres englouti sous les ronces. Seul, le beau et long chemin blanc qui le desservait existe encore. Il débouche sur la route de Clérans à Pressignac, et s'appelle toujours « La route FAGET ».
► Louis FAGET fit sa scolarité à Bergerac, au « Sauveur » où il étudia notamment l'harmonie et développa son goût pour la musique, son écriture et le chant choral.
► Il épousa le 23 mars 1897 Jeanne Marie Marguerite Augustine LAVERGNE née aux Bigayres à Liorac en 1880. Il avait 27 ans et elle n'en avait que 16. Ce mariage apporta à Louis FAGET le domaine des Bigayres.
► Ils eurent deux enfants :
◊ Yvonne Marie Elisabeth FAGET née à Liorac le 18 janvier 1899. Elle épousa Paul BOURLA et décéda à Liorac le 29 juin 1957.
◊ Jean Chery FAGET, né à Liorac le 10 juillet 1901. Il épousa Marie Thérèse WINDINBERGER qui mourut prématurément. Veuf à 24 ans, il épousa à 27 ans, en secondes noces, Elisabeth BEAUDRY. Il mourut aux Bigayres le 13 avril 1983 .


UN ENTREPRENEUR MODERNE à LIORAC : les grands travaux
Après son mariage, Louis Abel FAGET demeure aux Bigayres avec sa famille et gère et développe les deux propriétés : les Granges de Babut à Cause de Clérans et les Bigayres à Liorac.
En cette fin du XIXe siècle, la France est un pays essentiellement agricole. A Liorac, tous ou presque sont cultivateurs, travaillant leurs terres, morcellées par des siècles d'héritages et de partages, comme leurs pères l'ont fait, suant et peinant pour nourrir leur famille. La polyculture vivrière domine très largement le paysage agricole : c'est une agriculture d’autoconsommation et seuls quelques surplus sont vendus dans les circuits locaux. Dans ces conditions, sur des exploitations très petites, jamais de bénéfice et par conséquent pas d'investissement ou de modernisation possible. Il y a très peu d'élevage, presque toujours un porc pour la consommation de la famille, parfois une vache, jamais plus. La mécanisation n'est pas encore arrivée et on travaille toujours la terre de façon traditionnelle avec des boeufs (rarement des chevaux en Dordogne).

1- construction d'une grange-étable sur le modèle des bâtiments agricoles du Cantal :
Louis Abel FAGET souhaite en effet développer l'élevage de vaches laitières dans ses propriétés et entreprend la construction d'une grange-étable sur le modèle des bâtiments agricoles du Cantal. Pourquoi ce modèle du Cantal ? Tout d'abord parce que c'est une région avec une longue expérience d'élevage. D'autre part, parce que Louis FAGET a créé des liens avec certaines familles de cette région par l'intermédiaire des DE RAFFIN de la RAFFINIE, originaires du Massif Central, alors lioracois et amis. Il découvre ainsi, visite et admire les bâtiments de leurs fermes. C'est ainsi que cette nouvelle grange aux Bigayres, va devenir la réplique de celles vues dans le Cantal : c'est une vaste bâtisse à deux niveaux construite en pierre, étable en rez-de-chaussée et grenier à foin sous les combles ("la jouque").
Le bâtiment est desservi par une rampe d'accès pour charrettes et remorques qui peuvent y pénètrer pour déverser leur chargement. La date de 1899 est inscrite à l'intérieur.
Cette grange est remarquable par plusieurs aspects :
○ par ses grandes dimensions (elle est conçue pour une centaine de bêtes) et par la modernité de ses agencements : abreuvoir individuel pour chaque animal, trappes pour foin tombant du grenier au dessus de chaque mangeoire, évacuation du purin par pentes et rigoles pavées, large allée centrale transversale permettant l'évacuation du fumier sans manœuvre (sens unique pour entrée et sortie).
○ par sa structure elle même avec le mélange de poutres métalliques (on est dans la période des constructions de Gustave Eiffel) et de poutres en bois.
Des photos seront ajoutées dès que possible pour illustrer cette description. Adossée à la rampe d'accès , une bascule pour bestiaux composée d'une machinerie enterrée assez sophistiquée. A l'époque, toutes les fermes de la région y venaient peser leurs bêtes avant les foires. Elle existe encore aujourd'hui en mauvais état, mais pour le souvenir et la conservation du petit patrimoine agricole, elle mériterait d'être restaurée

○ par la forme de son toit composé de deux pentes asymétriques (comme le montre l'image satellite): l'une petite, l'autre très grande dominant le réservoir édifié simultanément, côté sud le long de la route de Carrieux pour recueillir l'eau de pluie.

Mais l'élevage d'un si grand nombre de bêtes nécessitait une grande quantité d'eau : le puits était réservé à l'usage domestique et la pluie était insuffisante pour assurer l'abreuvage de toutes les bêtes. C'est alors qu'Abel FAGET envisage un autre équipement :
2- un bélier hydraulique pour amener l'eau aux Bigayres et aussi à Genthial.
Pourquoi Genthial ? Après la fin de la grande guerre, Abel FAGET a agrandi ses propriétés en achetant à la famille DURIEU de SEVERAC le domaine et le Château de « Genthial » , environ 200 ha de terres et de bois s'étendant sur Liorac, Cause de Clérans et St Marcel (acte reçu par Me AMIET, notaire à Bergerac et Me CHAVOIX notaire à Lalinde les 28 Novembre et 7 Décembre 1918).
En 1918, il est donc à la tête d'une entité agricole réunissant les trois propriétés (Les Granges de Babut, les Bigayres et Genthial) soit plus de 400 ha d'un seul tenant. Cette immense propriété comprend plusieurs fermes : La Poujade, La Veyssogne, la Grange-Neuve, la Citadelle, Candillac ...
Son fils Jean Chery FAGET, après des études à St Genès à Bordeaux a poursuivi une formation agricole en Espagne à Figueras, dans une école connue à l'époque. Sa formation terminée, il est rentré et le père et le fils gèrent alors ensemble l'exploitation.

Le problème était de faire remonter l'eau sur des collines situées à une altitude d'environ 120 m (Genthial ou les Bigayres) à partir d'un ruisseau situé beaucoup plus bas : le dénivellé par rapport à la Louyre était énorme et donc prohibitif. Le choix de la prise d'eau s'est porté sur un des affluents de la Louyre, "la Sérouze", qui coule à une altitude d'environ 80 m, au nord des Granges de Babut.
 
le bélier hydraulique était la solution au problème : ce système a été a été inventé en 1797 par Joseph-Michel Montgolfier (celui qui a construit la première montgolfière en 1782 !) et en 1857 Ernest Sylvain Bollée améliore l’invention de Montgolfier et dépose un brevet. Le bélier hydraulique est un système d’élévation d’eau dont le fonctionnement dépend uniquement de la force motrice de l'eau, sans aucune autre source d'énergie. Concrètement cela permet de pomper l’eau d’une source (ici le ruisseau de la Sérouze) et de l’utiliser plus haut pour irriguer des cultures ou abreuver des bêtes. Si remonter l'eau d'une quarantaine de mètres était donc techniquement possible , il restait à amener l'eau depuis la Sérouze à Genthial et aux Bigayres, c'est à dire installer plusieurs kilomètres de tuyaux enterrés et ceci en se remettant dans le contexte de l'époque, sans camion, sans machine, juste avec des bras courageux et costauds. On peut facilement imaginer les difficultés d'installation et de maintenance : l'optimisation de ce type d'installation nécessitait des compétences en hydraulique et il fallait gérer les variations de débit saisonnier du ruisseau, nettoyer les filtres au niveau de la prise d'eau, réparer des fuites...
Mais malgré ces difficultés, l'opération fut menée à bien et l'eau coula à Genthial et aux Bigayres bien avant que le bourg de Liorac ait l'eau courante !
Peut-on imaginer avec notre mode de pensée, de confort et de vie d'aujourd'hui, l'ampleur de ce qui a été entrepris et exécuté par cet homme à cette époque ?
 
La laiterie des Bigayres  

@ Marie-France Castang-Coutou
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