PAUNAT, "e palo nata", le pieu né
Ce nom provient, d'après la légende, du bâton qu'un pélerin aurait planté en faisant le voeu, s'il fleurissait d'y fonder une abbaye. Le bâton a dû fleurir puisqu'une magnifique église abbatiale a été bâtie et a survécu aux invasions, pillages, destructions et guerres et
peut être encore admirée de nos jours, plus de 1000 ans après sa construction !
Le village de Paunat a inscrit cette légende sur son blason.
La commune de Paunat fait partie du Périgord Noir, et est arrosée par deux ruisseaux : le Paunat qui nait dans la commune, passe au pied de l'abbatiale et rejoint la Pradelle qui se jette dans la Dordogne au bac de Sors.
L'église abbatiale Saint Martial de Paunat est située dans le "bourg bas". Une autre église, Ste Marie de Paunat, fut l'église paroissiale dans le "bourg haut" près du cimetière
mais elle était déjà "presque ruinée" en 1688 lors de la visite épiscopale et il n'en reste presque plus rien.
L'ÉGLISE ABBATIALE ST MARTIAL
L'église est imposante par ses grandes dimensions et par son aspect monumental.
Vue du ciel (Google Earth), on remarque sa forme en croix latine : la grande branche de la croix va du clocher-porche situé à l'ouest , parcourt la nef et se prolonge jusqu'au choeur, dirigé vers l'est, direction de Jérusalem comme c'était l'usage à l'époque médiévale (environ 45 m de long).
Deux transepts Nord et Sud forment les bras de la croix (environ 25 m de long). A l'intérieur, une coupole se situe à l'intersection entre la nef et les transepts. A l'extérieur,
un clocheton octogonal surplombe cette coupole et devait abriter une cloche qui rythmait la vie des moines indiquant les heures des offices.
Les bâtiments du monastère ont disparu, mais le jardin carré au pied de l'église avec sa fontaine suggère un cloitre. L'emplacement et la forme du monastère n'ont pas été parfaitement déterminées mais cet emplacement sur l'esplanade au Sud de l'église est très plausible.
L'histoire de cette église est particulièrement mouvementée :
L'abbaye existait déjà au VIe siècle, c'était un monastère bénédictin qui dépendait de Saint Martial de Limoges.
Quelques moines y vivaient paisiblement en communauté sous la direction d'un abbé, observant la règle de saint Benoît qui préconisait avant tout la prière, le silence, le travail, la frugalité et l'abstinence.
Puis les Vikings arrivent en remontant la Garonne, puis la Dordogne, et dévastent le Périgord.
L'abbaye de Paunat n'y échappe pas : vers 860, elle est saccagée, et bientôt en ruines...
Rebâtie grâce à l'Évêque Frotaire de Périgueux, qui la consacra en 991 comme le rappelle une plaque dans l'église et la belle médaille commémorant le millénaire de sa renaissance :
Mais ses malheurs n'étaient pas terminés...
Vint ensuite la "guerre de Cent Ans", succession de conflits entre la dynastie des Plantagenets (Angleterre) et celle des Capétiens (France)
pour la souveraineté et le contrôle des fiefs de Guyenne, puis pour la couronne de France : l'abbaye fut occupée par une garnison anglaise qui voulant installer des pièces d'artillerie à l'étage de l'église, fit écrouler la nef.
Puis vinrent les guerres de religion : l'abbaye fut à nouveau pillée, cette fois par les Huguenots.
Après toutes ces destructions et reconstructions, voyons à quoi ressemble l'église actuelle. Il est logique d'y retrouver plusieurs styles architecturaux :
le style roman d'origine et le style gothique plus tardif, mais avant de décrire plus en en détail cette monumentale église, voici un schéma général pour faciliter la visite :
Dans les parties en orange on retrouve des éléments de style roman et les zones dessinées en vert ont été plusieurs fois modifiées au cours des siècles.
Le clocher-porche : c'est une des parties les plus anciennes de l'église (style roman).
Devant la porte permettant l'accès à l'église,
un porche surmonté d'une coupole circulaire dans une tour carrée d'environ 8 mètres de côté, correspondant au clocher.
(Ce clocher est austère, sans d'autre "décoration" que des contrefrorts plats d'une trentaine de centimètres de largeur et de quelques cm d'épaisseur.
On peut juste remarquer la trace d'un bâtiment pointu accolé à l'église et deux fenêtre géminées, fournissant un peu de lumière à un escalier intérieur qui donnait accès au clocher ).
Ce porche constitue le narthex , l'endroit où se tenaient les non baptisés pendant la Messe (puisqu'ils ne pouvaient pas pénétrer dans l'église).
Les murs ont environ 1.50m d'épaiseur et on peut remarquer le dallage usé par les pieds des fidèles.
Le porche comporte quatre ouvertures en arc roman, selon les quatre points cardinaux : à l'est, la porte d'entrée vers l'église
et à l'ouest, au nord et au sud, trois ouvertures autrefois fermées par des portes qui ont été enlevées
comme le signale un article de la Société Historique et Archéologique du Périgord (SHAP) :
F. Salviat signale que l'architecte des Monuments Historiques a
décidé l'enlèvement de trois portes anciennes, fermant le narthex
roman de l'église de Paunat. Le vestibule clos jusqu'ici est donc
ouvert à tous vents. Une pétition et une lettre ont été envoyées au
ministre de la Culture par certains habitants et amoureux de Paunat:
ils demandent la réinstallation des vantaux déposés (dossier déposé
à la bibliothèque de la SHAP), BSHAP 2010 p23).
La nef a dû être restaurée à plusieurs reprises puisqu'elle a subi la guerre de Cent Ans et des guerres de religion.
Actuellement, on observe des arcs en forme d'ogives qui ne soutiennent rien : en effet, les voûtes avec un remplissage en plâtre et briques datant du XIXe siècle se sont écroulées laissant voir la charpente.
La toiture et les arcs ont été restaurés mais les voûtes n'ont pas été refaites.
Selon certains auteurs comme Felix de Verneilh, la voûte de la nef aurait eu à l'origine trois coupoles, ce qui ferait cinq avec celle du porche et celle de la croisée des transepts.
Cette église pourrait donc appartenir au style byzantin tout comme Saint Front à Périgueux ou Saint Nicolas à Trémolat.
Au début du XIXe siècle le sol de la nef a été ramené au niveau de celui du porche (surélevée d'environ 2-3 mètres) pour éviter la ruine du bâtiment par des infiltrations d'eau et
les murs ont été remontés d'autant et l'on distingue sur le murs extérieurs la différence de structure de la partie rajoutée.
A l'intérieur, au niveau du transept nord, des fouilles ont permis de retrouver le niveau d'origine
et une piscine permettant d'évacuer l'eau et le vin de la messe a été mise à jour. Elle date d'autour de l'an mil car son usage a été interdit par le pape Innocent III pendant son pontificat (1198-1216)
Une coupole à la croisée des transepts :
Y en avait-il trois autres sur la nef ? La coupole se trouve juste en dessous du clocheton (autrefois de forme pointue et
maintenant hexagonal) et l'ouverture dans la coupole permettait de faire passer une corde pour actionner la cloche du monastère.
Le choeur : L'église actuelle présente un chœur rectangulaire qui date du XIIe siècle et qui a été voûté d'ogives au XIVe siècle.
Le choeur se termine par
un chevet plat : il a été défiguré au XIXe par le percement d'une grande ouverture très disproportionnée,au dessus des deux baies romanes , coupant le bandeau ceinturant le choeur.
On perçoit sur la photo de part et d'autre du vitrail deux fragments d'arc roman qui marquaient l'emplacement de deux autres baies jumelées.
Un grand Christ en croix, sculpté d'une seule pièce dans un tronc de noyer a été installé au centre du chevet.
Le monastère
Nous venons de décrire l'église abbatiale de Paunat, mais il existait à côté un monastère bénédictin qui abritait une communauté de moines.
Malheureusement aucun bâtiment du couvent n'a subsisté jusqu'à nous et on ne perçoit pas l'empreinte de bâtiments sur les murs de l'église sauf sur le clocher.
Ce monastère était probablement situé au sud de l'abbatiale sur l'esplanade actuellement limitée au Nord par l'église, à l'Ouest par le remblai de la route,
au Sud par un haut mur de pierre qui la sépare d'un pré en contre-bas et à l'Est par le Paunat petit ruisseau qui traverse le bourg,
cela fait une surface d'environ 50m x40m, largement suffisante pour contenir les bâtiments du couvent :
la salle capitulaire, les cellules des moines, le réfectoire, les cuisines, et les réserves sans oublier au centre un jardin et un cloître,
comme on peut l'observer dans les monastères conservés de cette époque. Des portes encore visibles sur le bas des murs de la nef, permettaient probablement d'accéder à l'église depuis le monastère.
Des mesures géophysiques modernes ont été appliquées à la recherche de ces bâtiments :
si leur existence semble maintenant prouvée sur cette esplanade, leur implantation précise n'a pas encore été déterminée.
Documents consultés :
► Divers articles de la SHAP.
► Les documents explicatifs disponibles dans l'église.
► La paroisse de Paunat, son Origine, sa Prévôté, son Eglise par l'abbé LAVIALLE, Périgueux, imprimerie de la Dordogne, 1903.
► Congrès Archéologique de France, 137e session 1979, le Périgord Noir.L'église de Paunat par Anne-Marie Pêcheur p 97.
► Paunat autour de son abbaye, ouvrage collectif, Editions Ol Contou, Le Bugue.
► L'architecture byzantine en France : Saint-Front de Périgueux et les églises à coupoles de l'Aquitaine,
par Felix de Verneilh, 1851, disponible sur la BnF (Gallica).
Je tiens à remercier tout particulièrement mon amie Anne-Marie Murat Jensen qui m'a très gentiment envoyé plusieurs photos qui me manquaient.